Pensée du mois : l’édito du coach – Comprendre et juger

André Malraux écrivait dans Les Conquérants (paru en 1928 chez Grasset) : « Juger, c’est de toute évidence ne pas comprendre puisque, si l’on comprenait, on ne pourrait plus juger. »

Combien de temps de notre vie passons-nous à juger l’autre, les autres ? Des voisins, des amis, un conjoint, un parent, des politiques, des journalistes, des patrons, des employés, des clients, des fournisseurs, des délinquants, des criminels. Et pourtant, nous n’avons pas toujours pris le temps d’instruire le dossier, comme le ferait un enquêteur ou un juge d’instruction. Faute de temps, faute d’envie. À partir de nos valeurs, de nos émotions, de notre façon de penser, de notre éducation (appropriée ou refoulée), de notre expérience, nous jugeons. Parfois pour nous enthousiasmer, pour adhérer, pour encourager, pour féliciter l’auteur(e) d’une belle parole, d’une bonne action, d’un discours éclairant, d’une œuvre magnifique. Parfois aussi pour condamner, pour médire, calomnier ou insulter un chauffard, un ripoux, une activiste, un opposant politique, un suspect, une étrangère…

 

Ce que Malraux nous invite probablement à percevoir, c’est que derrière le comportement de tel ou telle, il y a une histoire, un vécu, un héritage, une succession d’événements, une accumulation de situations que nous-mêmes n’avons pas vécues, dont nous ne sommes pas pétris. Peut-être certains faits relatés résonnent-ils avec notre propre vécu, notre histoire personnelle. Ils viennent percuter notre analyse, défier nos repères et nous conduire à juger, parfois sans concession, irrévocablement. Mais au fond, que savons-nous de ce qui a conduit cette personne-là à agir comme elle l’a fait ? Nous-mêmes, si nous avions vécu tout ce qu’elle a vécu, aurions-nous été « meilleurs » ? Aurions-nous pris la « bonne » décision, posé l’acte juste ? Nous serions-nous maîtrisés pour éviter le dérapage vers un comportement que nous réprouvons ? Nul ne le sait ! Pas même nous. Jusqu’où pouvons-nous aller sous l’emprise du stress, de nos émotions, de nos dilemmes éthiques, de nos conflits de valeurs, de nos soifs de bonheur, d’amour ou d’argent ? D’ailleurs, combien de remords et de regrets nourrissons-nous d’avoir fait ceci ou de ne pas avoir fait cela ? Combien pourrait-on nous en reprocher ?

 

Quand Albert Camus proclamait son discours en recevant le Prix Nobel de littérature en 1957, il disait des « vrais artistes… ; ils s’obligent à comprendre au lieu de juger ». Pour autant, il ne renonce pas à l’exercice de la justice, avec humilité, après avoir fait l’effort de comprendre, d’abord. Pour que justice rime avec justesse. Car le monde a besoin de garde-fous pour éviter de sombrer dans l’horreur, l’arbitraire et l’absurde. Comprendre n’est pas excuser ou relaxer. C’est la première étape pour être juste et ajusté.

 

Dans notre quotidien, à la maison, dans la rue, au bureau, sur le terrain, dans l’atelier, nous aussi, nous sommes invités à comprendre l’autre. C’est-à-dire le « prendre avec ». Prendre conscience avec l’intelligence. Saisir l’intention avec le comportement. S’emparer de l’acte avec toute la personne qu’est l’autre. Sinon, le risque est d’automatiser un jugement sans humanité, d’appliquer à la lettre un règlement sans en conserver l’esprit.

Pour le responsable, le manager, le dirigeant, combien plus cette exigence de comprendre s’impose, tant les conséquences du jugement sont lourdes.

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