Après avoir purgé le sujet de la santé, de la météo ou de l’actualité (inter)nationale, qui font la grande majorité de l’entrée en matière de nos discussions, nous prenons beaucoup
de temps à parler … des autres. De ceux qui ne sont pas là pour nous entendre. Et d’une certaine manière, cela tombe bien. Sinon de quoi parlerions-nous ? Et nous y allons de nos « Elle est rigide », de nos « Il est froid » ou encore de nos « Pas très fiable, celui-là ». Nous étiquetons généreusement, gratuitement, collégialement. Tous ou presque. En permanence ou quasiment. Pas par malveillance, souvent par automatisme. Pour nous repérer. Pour comprendre vite. Pour anticiper. Pour schématiser.
Mais à quel prix ?
Nous ne voyons qu’une partie de l’autre.
La plupart du temps, nous croisons les gens dans un rôle. En tant que collègue, manager, partenaire de projet. Nous les côtoyons dans un cadre précis, avec des règles implicites. Au quotidien, nous ignorons qu’ils ont « une vie à côté ». Nous ne les voyons pas en tant que père, amie, bénévole, musicienne ou passionné d’escalade. Et pourtant, tout cela existe. Mais nos étiquettes, elles, se forment sur ce mince morceau de réalité que nous percevons, généralisons, amplifions.
Nous filtrons à travers notre propre grille.
Ce que je valorise, ce que je redoute, ce qui me dérange ou m’attire… Tout cela teinte la perception que j’ai de l’autre. Ce que je crois voir chez lui, chez elle parle aussi ou surtout de moi : de mes valeurs, de ma culture, de mes normes implicites. Ce n’est pas un miroir neutre. C’est une projection.
Nos étiquettes nous trahissent.
Lorsque je dis d’une personne qu’elle est « trop ceci » ou « pas assez cela », c’est souvent un indice sur mon propre mode de fonctionnement. Mes jugements sur les autres révèlent mes attentes, mes intolérances, parfois mes blessures. Ce que je dis de l’autre m’expose, en creux.
Même l’opinion de personnes proches est un filtre.
Un collègue, un ami, mon conjoint ou un manager bienveillant me dit : « Attention, elle n’est pas commode » ou « Lui, tu vas voir, c’est un champion ». Et sans m’en rendre compte, j’intègre cette vision comme un fait. Je perds ma curiosité, j’oriente ma perception.
Mais l’avis de l’autre est aussi une lecture subjective, influencée par sa propre histoire. Et moi, suis-je capable de faire le tri entre ce qui est factuel et ce qui est projeté ?
Alors, pour ce mois-ci, avec la légèreté de l’été, voici un petit exercice simple et subtil :
Choisissez une personne à qui vous avez collé une étiquette bien définie. (Mais si, vous allez trouver !)
Et demandez-vous :
- Qu’est-ce que je ne vois pas d’elle/lui ?
- Quelle est la part de mes propres filtres dans cette perception ?
- Et si cette étiquette m’empêchait de découvrir autre chose ?
Parce que derrière chaque étiquette se cache une complexité qu’on ne soupçonne pas. Et peut-être aussi une relation qui n’a pas encore eu la place d’exister autrement.