Le rendez-vous était fixé à 9 heures, mais la Directrice des Ressources Humaines (D) attend le coach (C) dans son bureau depuis 7:30. Elle a passé une très mauvaise nuit à ressasser les tentatives précédentes de transformation de l’entreprise.
En interne d’abord, avec ses équipes, mais le temps a manqué, le projet s’est dilué dans un quotidien surchargé. Ironie du sort : la transformation vise justement à changer la façon de travailler car les clients se plaignent des délais de traitement et menacent de passer à la concurrence… quand ils n’y sont pas déjà passés.
Puis le projet a été confié à un premier cabinet de consultants, qui a mené un diagnostic, énoncé des préconisations, coconstruit un plan d’actions avec les managers… qui ont enfoui le dossier sous la pile. Le projet s’est éteint.
Un second cabinet de consultants a été approché. Il a voulu refaire un diagnostic (à grand frais) : « Vous comprenez bien que si ça n’a pas marché avec notre confrère, c’est peut-être que le diagnostic n’a pas tout pris en compte… ». Mêmes préconisations ou presque. Même plan d’actions ou presque, avec presque les mêmes acteurs. Mais exactement la même issue, le dossier en sommeil.
La DRH est réveillée de son cauchemar par la secrétaire : « Votre rendez-vous est arrivé ». L’horloge affiche 8:50.
D : Bonjour, voulez-vous un café ? soupire-t-elle profondément.
C : Bonjour, volontiers, merci. Tout va bien ? s’inquiète-t-il.
D : Oui, pourquoi cette question ?
C : Pardonnez-moi, on ne se connait pas encore, mais on dirait un « oui » qui veut dire « non, pas du tout »
D : [Silence pensif]. Vous avez raison. Ça ne va pas du tout. Comment avez-vous deviné ?
C : Rassurez-vous, c’est souvent pour cela que je suis sollicité.
La DRH décrit sa nuit avec force détail, et la poursuite de son cauchemar ce matin en l’attendant.
D : Vous comprenez, le DG s’impatiente. Il est même agacé… très agacé. Comme les clients. C’est la première fois en 20 ans que nous perdons des clients. Nous étions la référence dans le métier et nous sommes attaqués par des startups. « Il est urgent de nous transformer ! » hurle-t-il en CODIR. C’est à moi qu’il a confié le projet. Au début, j’étais fière, honorée. Le projet de ma carrière ! En fait le Directeur des Opération est sous l’eau et le Directeur Financier part en retraite dans un an. Le Directeur Commercial quant à lui est sur le terrain et maintient la relation avec les clients. Il ne restait que moi.
C : Et lui !
D : Et lui ? Qui ça ?
C : Le DG !
D : [Silence interloqué] Le DG ? Non, vous n’avez pas compris. Je vous disais que pour mener le projet de transformation, il ne restait que moi…
C : Et moi je vous réponds « Et lui ! »
D : Que voulez-vous dire ?
C : Je veux dire que s’il ne porte pas le projet lui, personnellement, vous allez avoir du mal… pardon, vous avez du mal à mener ce projet.
D : Ah, mais, il porte le projet. C’est lui qui a dit en CODIR qu’il fallait absolument que ce projet voie le jour, et le plus vite possible.
C : Ce que j’appelle « porter le projet », c’est s’impliquer dedans, l’incarner. Aux yeux de tous ! Or, je constate qu’il n’est pas avec nous ce matin. Vous m’avez dit aussi qu’il vous a laissé seule annoncer le projet aux équipes au nom de la direction générale et du CODIR. (Vous en étiez même fière.) Et lorsque les managers ont remonté à leurs directeurs respectifs qu’ils n’avaient pas le temps de mettre en œuvre le plan d’actions, et que ceux-ci ont remonté le point en CODIR, il vous a regardé en disant « Alors, qu’est-ce que vous fichez ? ». Ca vous a même un peu perturbée, bien que vous pensiez que « ce n’est méchant de sa part ». Et vous vous êtes remise en cause. Et puis, quand les délégués du personnel lui ont dit qu’ils en avaient trop et que le projet ajoutait de la charge, il leur a confirmé que « la production et les délais priment sur tout le reste » pour éviter un débrayage.
D : Oui, mais on ne peut pas dire qu’il ne veut pas du projet tout de même !? C’est lui qui en est à l’origine. De toutes façons, il est en déplacement aujourd’hui.
C : Oui, mais on ne peut pas dire non plus qu’il porte le projet. Vouloir transformer l’entreprise ne suffit pas pour un patron. Tous les signaux qu’il envoie par ses comportements et actes auprès du personnel sont interprétés comme une confirmation que c’est un sujet secondaire. Ce que je vous propose, c’est que nous nous rencontrions tous les trois. Avez-vous ses disponibilités ?
D : Non, mais ça ne va pas être possible. Vous ne le connaissez pas. Il ne pourra pas vous recevoir. Son agenda est hyper-hyper-chargé.
C : Si c’est le cas, je ne vais pas pouvoir vous aider. Je ne sais pas accompagner une transformation d’entreprise qui n’est pas LA priorité du dirigeant. J’en suis sincèrement navré.
D : [Silence productif] Je crois que je vais m’entretenir avec lui et que nous allons reprendre contact avec vous. Pouvez-vous me donner vos disponibilités ?