RETOUR D’EXPÉRIENCE : Externaliser sa peur

C’était un beau matin de printemps, vers 7 heures. Il faisait frais et mon fidèle ami m’avait invité à la pêche au maquereau sur la côte normande.

Comme mes deux petits-fils étaient à la maison, j’avais négocié sans peine leur participation à cette sortie. Les deux chérubins attendaient le moment avec une impatience que l’on devine et des yeux pétillants d’envie.

Bottes aux pieds et cirés sur le dos, ils me pressaient pour que la voiture aille plus vite. Arthur avait 8 ans et Alexandre était fier de ses 5 ans et demi, surtout le « demi ». Plus la voiture s’approchait de la destination, plus Arthur était impatient, me demandant si c’était encore loin, et plus Alex posait de questions : « Mais le bateau, il reste à côté ? » sous entendant, à côté du ponton dont le nom lui était inconnu. Et, quand il comprit que le bateau allait en mer, « Mais nous, on monte pas dans le bateau, hein ? ». Peu à peu, il comprit ce qu’il craignait : nous allions nous retrouver au milieu de l’eau dans un petit bateau, alors qu’il ne sait pas nager.

La peur commença à s’emparer du petit bonhomme et, de mon côté, je commençai à gamberger… Pas possible de laisser Alex seul sur le ponton pendant 3 à 4 heures. Et pas sympa de faire vivre une crise d’angoisse au pitchoun. Que faire ? Ma petite voix intérieure me le susurra : « Externalise la peur ».

Au même moment, je garais la voiture sur le parking du port et Alex exprima sa peur : « Je veux pas aller sur le bateau ! Je veux pas tomber dans l’eau ! J’ai peuuuur ! ». Arthur et moi sortîmes de la voiture et j’allais ouvrir la portière d’Alex. « Nooon ! Je veux pas y aller ! J’ai peur ! »

« Écoute moi Alex ! Viens dans mes bras ! Tu sais que je t’aime ? Voui. Est-ce que tu as peur de venir dans le bateau avec Arthur, mon copain et moi ? Voui. Tu sais, la Peur, c’est comme une personne qui agit sur toi. Qu’est-ce que tu sens ? Où est-ce que cela se passe ? Dans ton ventre ? Dans ton cœur ? Dans ta poitrine ? Dans tes jambes ? Ça te fait quoi ? Ça me fait des trucs dans le ventre. OK. Si tu n’avais pas ‘des trucs dans le ventre’, est-ce que ça te ferait plaisir de pêcher des maquereaux avec nous ? Ouiiii. Alors tu sais ce qu’on va faire ? On va laisser la Peur sur le bord, et on va monter dans le bateau sans elle. Tu es d’accord ? Euh… Oui. Comme ça nous, on va aller pêcher, et la Peur, elle reste ici, et si tu veux, tu la reprendras au retour. Où est-ce que tu veux la laisser ? Euh…ici. D’accord. A côté du petit arbre. Voilà Madame la Peur, on te laisse ici et tu ne bouges pas jusqu’à ce qu’on revienne. Compris ? »

Arthur se mit à rire aux éclats, et Alex rigola avec lui. « Tu vois Alex. Maintenant que la Peur est là, elle ne te fait plus rien. Tu peux même rigoler. Et du coup tu peux venir pêcher avec nous ».

Alex vint avec nous sur le bateau. Nous prîmes 58 maquereaux après 2 heures de malchance. Alex fut heureux comme les autres. Nous revînmes au port et Alex ne voulut pas reprendre Madame la Peur… qui doit toujours se trouver à côté de l’arbre sur un petit port de pêche de la Côte de Nacre.

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